Détail des combats dans lesquels les Beni-Foughal se sont engagés lors des campagnes du général de Saint Arnaud
Les deux documents précédents nous ont permis d'avoir une vision globale de la campagne du général de Saint Arnaud: le parcours 'tribu par tribu' effectué par l'armée française, ainsi que les pertes de vies humaines et les blessés lors des combats principaux.
Le livre dont il est maintenant question dans cette page ne fournit pas de vision d'ensemble, mais il nous propose un exposé très détaillé des combats les plus acharnés: il permet de se rendre compte que les Beni Foughal et les Beni Amrane ont été engagés dans tous les combats les plus meurtriers- ceux qui ont fourni la plus forte opposition à l'armée française. Et c'est la défaite des Beni Foughal, connus pour être de très vigoureux guerriers, qui a fait basculer le sort des Babors: beaucoup d'autres tribus moins belliqueuses, impressionnées par cette défaite, demandèrent l'aman.
On notera aussi que Bou Akkas ben Achour rallié à l'armée française, participa aux combats visant à soumettre les Beni amran et les Beni Foughal.
Au final, les pertes humaines pour la tribu furent considérables, tous les hommes valides ayant été envoyés au combat; de plus tous les villages de la tribu furent détruits et incendiés.
Remarque: dans ce texte, il y a un combat pour lequel le nom des Beni Foughal n'apparaît pas (combat durant lequel le général Bosquet est blessé au bras). Mais il s'agit dans ce cas aussi d'un combat avec les Beni Foughal et les Beni Amrane, comme on peut le constater en lisant les lettres du général Bosquet.
(L'extrait de texte est long, mais il en vaut largement la peine!)
(Comme d'habitude, j'ai recopié ici le texte y compris les fautes de retranscription des noms de lieux / de tribus- erreurs qui sont particulièrement nombreuses dans ce texte)
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Le général Saint Arnaud avait fixé la ville de Milah comme point de réunion du corps expéditionnaire; les troupes rassemblées à la revue qu'il passa le 8 Mai, sous les murs de cette place, dans une plaine baignée par l'Oued Rummel, offraient un effectif de plus de 9000 hommes, compris les cavaliers indigènes envoyés par Bou-Akas-Bey-Achour, Bou-Ghzennan et Mohamed-ben-Azedin, puissants cheikhs, nos alliés. Elles entrèrent en campagne le 9, par un temps magnifique, et assirent le même jour leur camp asur les bords de l'Oued Endia.
Les contrées qu'elles eurent à franchir furent d'abord une succession de vallées, couvertes quelques unes de belles cultures et de coteaux opposant trop souvent à leur marche l'obstacle de broussailles épaisses, hautes et parfois très piquantes. La division atteignit le Fedj Beïnen sans avoir brûlé une amorce; elle couronna cette hauteur des feux de son bivouac. La dernière partie de la marche avait rencontré, dans les mouvements très énergiquement accidentés du pays, des obstacles beaucoup plus sérieux que ceux qui s'étaient présentés dans la matinée; on sentait que l'on avait entamé la région des montagnes et que l'on ne tarderait pas à se retrouver en présence de l'ennemi. Cette prévision se vérifia plus tôt qu'on ne l'avait supposé. Le général fut informé, le soir-même, que la ligne de faîtes qui formait de l'autre côté de la vallée était fortement occupée, particulièrement sur les trois seuls points où des cols, resserés entre des rochers taillés à pic comme des remparts, permettaient de la franchir.
La configuration des lieux rendait aussi périlleuse que difficile la première opération que notre division allait avoir à tenter contre l'ennemi; une pente longue, raide et toute hérissée de caroubiers, de lentisques et de broussailles épineuses, opposant à la marche leurs épais halliers, conduisait au lit de l'Oued-ja, dominé par Kasen, gros et fort village dont les blanches murailles et les terrasses étaient garnies de défenseurs. Il fallait d'abord enlever cette position, pour pouvoir franchir par d'affreux sentiers les ravins qui conduisaient aux trois cols; l'attaque de ces derniers passages, où trois mille kabyles s'étaient retranchés derrière des murs formés de quartiers de rocher, devait enfin former une péripétie de cette longue lutte.
Le général Saint-Arnaud, après avoir prescrit les mesures pour que le nombreux convoi, transportant les approvisionnements et les munitions de l'armée, pût suivre le mouvement en sûreté, fit former le corps d'opération en trois colonnes: celle de gauche, composée de deux bataillons du 20e de ligne, d'un bataillon de tirailleurs indigènes et de soixante-dix cavaliers, chasseurs et spahis, aux ordres du commandant Fornier, était dirigée par le général Luzy. La colonne de droite, commandée par le général Bosquet, était forte également de trois bataillons empruntés aux zouaves, au 8e de ligne et à l'infanterie légère d'Afrique. Elle était accompagnée par un détachement de soixante-dix chevaux conduits par le colonel Bouscarin. La colonne du centre, placée sous les ordres du lieutenant-colonel d'Espinasse, était formée du 2e bataillon de chasseurs à pied, d'un bataillon du 9e de ligne et d'un bataillon de la légion étrangère. Chaque division était de plus appuyée de trois obusiers.
La division s'ébranla au point du jour, elle s'écoula en trois lignes le long des pentes buissonneuses du Fedj Beïnem et gagna les bords de l'Oued-ja, qu'elle franchit, à sept heures, sur trois points à la fois. Une vive fusillade éclata aussitôt sur la gauche; c'était la tête de colonne du général Luzy qui heurtait la dechera de Kasen placée sur la route. Ce village, attaqué par nos tirailleurs indigènes, fut enlevé à la baïonette, malgré l'intrépide résistance des Kabyles, dont plusieurs tiraient encore des maisons livrées aux flammes.
A ce bruit, une noble rivalité s'empara des trois colonnes; chacune, plongeant dans la gorge étroite du ravin conduisant au col objet de son attaque, la parcourt d'un pas rapide, sous le feu de l'ennemi, et aborde ses retranchements avec autant d'audace que de vigueur: un combat acharné s'engage sur ces trois points.
Pendant que le général Luzy, intrépidement secondé par le colonel Marulat, dirigeait en personne une charge à la baïonette sur le front de la position qu'il devait enlever, le commandant Bataille, à la tête des tirailleurs indigènes, exécutait avec résolution un mouvement tournant qui jetait le désordre dans les masses ennemies et arrivait sur le plateau, au moment où le 20e et les spahis, enlevés par le commandant Fornier, l'atteignaient eux-mêmes. Le combat prit sur ce point un vrai caractère de fureur.
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L'ennemi n'avait pas été attaqué avec moins d'énergie par la colonne de droite; les nombreux cadavres qu'il laissa derrière ses retranchements prouvèrent à tous les égards la vigueur de l'attaque, par l'acharnement de la défense. Le général Bosquet, atteint d'une balle à l'épaule, n'en resta pas moins à la tête de ses zouaves, bientôt maîtres de toutes les crêtes dont ils avaient débusqué les Kabyles.
La colonne du commandant d'Espinasse s'était emparée tout aussi rapidement du col central, d'où son chef s'était élancé ardemment, avec son bataillon, à la poursuite de l'ennemi.
Toutes les forces de l'expédition avaient eu leur part dans ce glorieux début de la campagne.
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Le corps du général Bosquet conserva jusqu'au soir les positions dont il s'était emparé, et d'où il pouvait, au besoin, se porter instantanément au secours du convoi défilant avec une extrême lenteur dans les sentiers à peine frayés de ces gorges presque inaccessibles. Il ne put venir occuper qu'à huit heures du soir les terrains qui lui avaient été réservés sur le plateau où notre division avait dressé ses tentes. Cette journée nous avait coûté onze hommes morts et quatre-vingt-un blessés.
Le lendemain fut pour l'armée un jour de repos; la cavalerie, appuyée par quatre bataillons sans sacs, fut cependant détachée, sous les ordres de MM les généraux Luzy et Bosquet, pour incendier les villages des Beni Mimounn et des Ouled Aska. Les Kabyles se portèrent avec fureur contre les forces chargées de ces exécutions. Leurs attaques ne servirent qu'à semer les rocs et les bruyères sur leurs cadavres. Nous eûmes dans ces engagements trente-sept hommes mis hors de combat; trois officiers étaient au nombre des blessés. Le soir, quand notre détachement rentra au bivouac, les colonnes de fumée s'élevant dans le ciel, où ne circulait qu'une brise insensible, révélaient le nombre et la situation des villages livrés aux flammes.
Le corps expéditionnaire se remit en marche le 13, aux premières clartés du jour. Sa marche, principalement à cause du convoi, rencontra des difficultés extrêmes. Le sentier qu'il fallait suivre se tordait, étroit et rocaillaux, à travers des fourrés dont les chênes-lièges, les palmiers nains, les myrtes et les lentisques formaient, pour les tirailleurs kabyles, des asiles impénétrables. toutes les hauteurs escarpées qui le dominaient été occupées par l'ennemi, il fallait l'en débusquer et les occuper jusqu'à ce que le convoi les eût dépassés. Dans les engagements successifs auxquels cette marche donnait lieu, nos troupes avaient toujours contre elles le désavantage de la position; aussi ces attaques leur coûtaient-elles des pertes nombreuses. Elles s'acquittaient pourtant avec autant d'ardeur que de succès de cette tâche périlleuse et pénible. Toutes ces actions partielles étaient autant d'échecs pour l'ennemi, qui essuyait dans ses retraites des pertes bien supérieures, lorsqu'un triste épisode vint frapper notre division et jeter le deuil dans tous les esprits.
Deux compagnies de grenadiers du bataillon d'élite fourni par le 10e de ligne avaient chassé un nombreux parti de Kabyles d'une position escarpée qui dominait le flanc gauche du sentier par où les mulets du convoi devaient passer un à un; elles s'y étaient provisoirement établies. De cette hauteur, elles dominaient tout le développement qu'offrait cet immense défilé, sans cesse l'objet, sur quelque point, d'alarmes ou d'attaques de l'ennemi. Un vif engagement entre l'arrière-garde et des forces kabyles bien plus nombreuses appela, durant quelques minutes, leur attention, celle même des sentinelles, à qui l'intérêt du spectacle fit oublier leur devoir. Cette négligence n'échappa point à des Kabyles embusqués sans doute dans le voisinage. Trois ou quatre cents des plus intrépides se jettent dans un taillis qui touche la position, glissent à travers les rochers, rampent sous ce voile de broussailles, approchent ainsi sans bruit du point gardé avec si peu de vigilance par nos troupes , puis, s'élançant à la fois du milieu de ces halliers, ils fondent sur elles le yatagan à la main; un combat corps à corps s'engage alors entre les assaillants armés et nos soldats qui, surpris sans défense, sont quelque temps avant de pouvoir opposer à cet ennemi d'autres armes que la vigueur de leurs muscles et l'énergie de leur désespoir; le sang français rougit seul ces bruyères qui se couvrent de cadavres, lorsqu'un bataillon du 9e, attiré par les cris des combattants et le bruit de la lutte, vient arracher au massacre les débris de ces deux compagnies: ce n'est qu'au prix de quatre morts et de neuf blessés qu'il recouvre la position en culbutant les Kabyles dans le fourré, où ils se dérobent à ses coups. Les grenadiers avaient eu cent huit hommes mis hors de combat; quarante-trois hommes, dont cinq officiers, couvraient le sol de leurs cadavres.
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Notre division, profondément attristée par ce douloureux incident, arriva sur une croupe de bruyères où elle établit son camp; un espoir s'unissait à la tristesse et
en adoucissait l'impression sinistre: c'était celui de faire payer chèrement à l'ennemi ce succès qu'il n'avait dû qu'à une surprise. La marche du lendemain ne lui permit pas de le réaliser; les
versants et les ravins de ces montagnes étaient couverts d'épaisses et magnifiques forêts d'ormes, de chênes et de bouleaux; les hautes broussailles croissant au milieu des arbres offraient aux
kabyles des moyens trop sûrs et trop faciles d'inquiéter notre marche, pour qu'ils affrontassent nos balles et nos obus en attaques en masses et à découvert.
Le 14, les lieux furent moins favorables à cette guerre d'embuscade; aussi l'ennemi fut-il dans la nécessité d'avoir recours à un autre mode de combat. Un nombreux rassemblement, formé près d'une gorge étroite, dans un pli de terrain boisé qui l'avait dérobé aux regards de nos éclaireurs, tenta une irruption violente sur notre ligne; mais, accueilli par une fusillade meurtrière ouverte sur lui par les tirailleurs du commandant Bataille, et vivement chargé par les zouaves du commandant Laure, il se dispersa en semant de ses morts les ravins où l'emporta sa fuite.
Le camp fut assis, le soir, dans une position aussi remarquable par sa commodité et ses avantages réels que par la beauté de son site: c'était un plateau qui, au nord, voyait se dérouler un pittoresque panorama de collines, s'abaissant progressivement en gigantesques degrés et allant baigner sa dernière assise dans les lames de la Méditerranée; à l'est, il dominait une fraîche vallée, au milieu de laquelle coulait l'Oued el Kebir entre deux rives couvertes de bouquets de saules, de caroubiers et de trembles. L'armée y prit un jour de repos, une partie de l'armée du moins; car le général Saint-Arnaud, sachant que les villages de plusieurs tribus qui avaient inquiété notre marche se trouvaient à une faible distance des bords de la rivière, chargea le colonel Meruat de se porter sur ces douars en suivant avec sa colonne la vallée d'une déclivité douce qui formait la lisière de l'âpre chaîne de montagnes que nous venions de franchir. Cet officier s'acquitta de cette mission avec célérité et vigueur; tous ces beaux et grands villages furent attaqués et détruits malgré l'audace que leurs habitants et les Kabyles auxiliaires mirent à les défendre. Quand le colonel Meruat reprit la route de notre bivouac, ces dechera ne formaient plus que des monceaux de cendres encore fumants.
La division rencontra des chemins de plus en plus praticables et des terrains bien plus découverts encore que le jour précédent; toute attaque cessa alors; les Kabyles n'osèrent se hasarder sur des terrains où ils eussent été certains de ne pas échapper aux sabres de nos cavaliers. Notre division vint donc établir ses bivouacs sous Djidjelly, sans avoir eu à soutenir de nouveaux combats; elle n'y arriva pas moins épuisée par les dernières marches qu'elle ne l'eut été pas des engagements continuels; des fatigues avaient succédé aux dangers; des pluies battantes aux balles de l'ennemi.
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L'éloignement de nos troupes avait rendu l'audace et la résolution aux contingents kabyles accourus au secours des tribus attaquées; ils s'étaient abandonnés si aveuglément aux illusions de l'espérance, qu'ils s'étaient avancés en masses nombreuses jusqu'à quelques lieues de Djidjelly, se flattant de tirer vengeance des défaites de leur compatriotes, si nous tentions de les attaquer dans la forte position où ils étaient venus se retrancher. Le général en chef jugea utile de leur donner une leçon aussi rapide que sévère. Notre division reçut l'ordre de se préparer à entrer en campagne le 19 au point du jour; à onze heures elle avait atteint le plateau de Dar el Guidjali au milieu du riche territoire des Beni Amram; un fort parti ennemu occupait sur la gauche une ligne de hauteurs, éloignée d'environ deux kilomètres, au centre de laquelle se trouvait, près d'un camp fortifié à la hâte, le passage qu'il fallait franchir. Le général donne l'ordre au corps expéditionnaire d'établir son camp sur ce plateau, et commandant à six bataillons de déposer leurs sacs, il en forme trois colonnes: une reste sous ses ordres; les deux autres sont confiées à la direction des généraux Luzy et Bosquet;une partie de la cavalerie doit appuyer le mouvement.
A midi, les trois colonnes se mettent en marche et descendent le versant de Dar el Guidjali d'un pas rapide; arrivées au pied des positions ennemies, les trois colonnes s'élancent sur les rampes, les gravissent avec une ardeur devant laquelle toutes les difficultés disparaissent, et abordent l'ennemi avec une telle impétuosité qu'il ne peut soutenir le choc; renversé de toutes ses positions, il se rallie; il tente d'effectuer sa retraite en ordre en la couvrant d'une vive fusillade, et , lorsque nos soldats la pressent trop vivement, en opérant sur eux des retours offensifs; mais le colonel Bouscarin, qui est parvenu à tourner ses postions avec la cavalerie, apparaît devant lui et le charge énergiquement en tête, tandis que nos soldats, stimulés par ce concours imprévu, fondent sur ces masses confuses avec un redoublement d'ardeur. Les Kabyles, ainsi pris entre la pointe de nos baïonettes et le tranchant de nos sabres, se jettent avec épouvante dans toutes les directions où ils espèrent échapper à la mort. Cent ving cadavres restèrent sur le champ de bataille; ce succès ne nous coûta que deux hommes et trente et un blessés. Ces positions avaient été défendues par plus de deux mille fusils, appartenant aux tribus des Beni Amray, des Beni Achmet et des Beteni-Khtel.
Cette défaite ne découragea point cet ennemi archarné; loin de se disperser, il se rallia, le soir-même, sur une nouvelle ligne de défense occupée par les nombreux guerriers de la tribu des Beni Foughral et de leurs alliés, dont les positions conquises ne formaient, pour ainsi dire, que les avant-postes. Le général en chef, résolu à ne pas laisser s'effacer l'impression profonde sous laquelle ce premier échec a dû placer l'ennemi, va, dès le point du jour, avec un détachement de chasseurs, reconnaître la position des lieux où se trouvent concentrées les forces kabyles.
La ligne, dont elles occupent tous les points saillants, est formée d'une chaîne de crêtes, presque toutes couronnées par de hautes futaies. Elle présente un développement d'environ deux mille mètres, et offre tous les avantages d'une excellente position stratégique. Un énorme ravin couvre la gauche, une plaine assez vaste s'étend sur la droite, mais la raideur des pentes qu'elle présente peut sembler une protection suffisante. Le général pressent cependant que là se trouve la partie vulnérable de cette forte position, et porte presque exclusivement de ce côté son exploration; il reconnaît bientôt, en effet, que la configuration des lieux sur l'arrière de cette ligne constitue un grave danger pour l'ennemi; les hauteurs où ses forces sont portées s'abaissent en arrière vers un petit vallon qui s'ouvre sur la plaine et dont le col va rejoindre et commande le ravin de gauche. La cavalerie jetée dans la plaine peut pénétrer dans ce vallon et gagner aisément le col. L'ennemi se trouve donc menacé, en cas de revers, d'avoir sa retraite brusquement coupée.
Le général Saint Arnaud regagne le camp, son plan d'attaque est arrêté. L'ordre est donné à huit bataillons, sans sacs, de prendre les armes; quatre obusiers et toute
la cavalerie doivent concourir à l'attaque. Ces forces quittent le camp à onze heures; à midi elles se trouvent en présence de l'ennemi. Le général Bosquet, chargé d'exécuter le mouvement de front
avec deux bataillons d'élite, jette les zouaves et les tirailleurs dans un terrain boisé d'où ils occupent l'attention de l'ennemi par une fusillade sans autre importance réelle. Pendant ce temps, la
cavalerie se masse dans un pli de terrain et le bataillon de tirailleurs indigènes s'approche de la gauche dont il doit gravir les pentes abruptes. Le général Saint-Arnaud, resté avec un bataillon de
réserve, donne l'ordre d'attaquer; c'est un coup d'obusier qui transmet ce commandement aux troupes impatientes.
A ce signal toutes ces forces s'ébranlent à la fois. Le général Bosquet, l'épée à la main, prend la tête du 8e de ligne, et s'élance vers la crête, que les zouaves assaillent avec une irrésistible ardeur; les tirailleurs indigènes s'attachant aux rocs, se prenant aux broussailles, gravissent les escarpements de gauche avec une ardeur et une rapidité effrayantes; la cavalerie, que le 2e bataillon de chasseurs à pied suit au pas de gymnastique, se précipté vers l'entrée du vallon, y plonge et, sabrant tout ce qui veut s'opposer à son passage, gagne le col, où les chasseurs à pied arrivent aussitôt qu'elle.
Les Kabyles, enveloppés par ce mouvement rapide, se trouvent inopinément attaqués de trois côtés à la fois par des forces qui, se resserant sur eux, ne leur laissent
d'autre retraite que le ravin profond où elles veulent évidemment les jeter. Le combat prend alors le caractère de la plus furieuse violence. Dans l'alternative de se faire tuer ou de tenter la
périlleuse voie de salut que leur offre cette espèce de précipice, les Kabyles ne peuvent d'abord se résoudre à fuir, ils luttent avec l'acharnement du désespoir, disputant chaque pied de terrain
qu'ils n'abandonnent que rougi de leur sang et couvert de leurs morts; ce n'est qu'au moment d'être culbutés dans le ravin, qu'ils se décident à s'y dérober à la ceinture de fer que nos baïonettes et
nos sabres ferment sur eux. Ils glissent,se précipitent au fond de cette gorge étroite où leurs masses, s'agitant et roulant dans la confusion et la terreur, sont obligées de défiler sous le feu de
nos bataillons. Le sol reste couvert de trois cent quatre vingt trois de leurs cadavres.
Cette sanglante victoire jeta la consternation dans toutes ces montagnes: pendant que nos troupes rentraient au camp, joyeuses et portant comme des trophées de ce brillant succès, les armes, les ceintures et les burnous pris à l'ennemi, la nouvelle du dénouement désastreux de ce combat parcourait les douars voisins, dont tous les hommes valides avaient pris part à ces deux jours de luttes; partout éclataient la douleur et le désespoir; des lamentations et des cris de deuil s'élevèrent toute la nuit de ces decheras désolées: le découragement gagna les coeurs les plus résolus. Trois grandes franctions de Beni Amran: les Achaïb, les Ouled Bouiza et les Ouled bou Acherr vinrent, dès le lendemain, faire leur soumission. Les Beni-Ahmed envoyèrent leurs cheikhs solliciter l'aman. On put, dès ce moment , prévoir que l'expédition porterai les fruits qu'on en avait espérés. La coalition des tribus de petite Kabylie n'était pas seulement vaincue, elle était dissoute. Si quelques-unes de ces fractions existaient encore, ce n'étaient plus que les tronçons du serpent qu'a divisé le fer. On eut bientôt une preuve de ce changement heureux. Les tribus voisines de Bougie, que le fameux shériff Bou-Hagla avait soulevées, redoutant le châtiment que leur imprudence devait attirer sur elles, se révoltèrent contre ce fanatique, et après l'avoir forcé à fuir précipitamment de leur territoire, envoyèrent en donner avis au commandant français de leur subdivision.
Le général Saint Arnaud, reconnaissant que la partie grave et périlleuse de l'expéditions était accomplie, pensa devoir diviser ses forces pour hâter la soumission des tribus qui restaient encore en armes sur divers points du pays. Il se dirigea d'abord vers Tebaïren, douar important du Ferdjlouah, où il rejoignit un convoi qui lui avait été expédié de Milah. Il y arriva le 25. Le lendemain, il détacha deux divisions de deux bataillons du 8e de ligne et une section d'artillerie de montange. Il les plaça sous le commandement du général Bosquet, qui eut ordre de se porter avec ces forces dans la subdivision de Sétif, où le général Camou opérait avec un corps de troupes trop faible pour pouvoir attaquer un nombreux rassemblement de tribus insurgées.
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Cependant la division du général Saint Arnaud poursuivait le cours de ses succès au milieu des tribus du nord est de la petite Kabylie. Dès le 26, elle pénétrait dans les montagnes des Beni Foughral, tribu nombreuse qui garde les passages du Djebel Bahor, point culminant de la route de Djidjelly à Sétif; à midi il prenait position sur un plateau, vis à vis d'une chaîne de montagnes boisées, où l'on apercevait de distance en distance leurs villages aux blanches murailles ombragées de figuiers. Les nombreux Kabyles armées que notre division vit se réunir sur les hauteurs qui faisaient face à son camp lui fit comprendre que l'ennemi était résolu à se défendre. Le général lança à deux heures sur ces rassemblements deux colonnes légères, qui eurent ordre, après les avoir dispersés, de se porter sur leurs villages et de les réduire en cendres. La résistance de Kabyles ne put empêcher ces incendies. Energiquement culbutés sur tous les points où nos troupes purent les aborder, ils durent se résigner à voir leurs habitations dévorées par les flammes et s'évanouir en tourbillons de fumée. Le soir, il ne restait plus de ces villages que des monceaux de décombres au-dessus desquels se dressaient encore quelques troncs carbonisés.
Le lendemain fut marqué par un engagement beaucoup plus sérieux. Le corps expéditionnaire s'étant porté en avant, fut arrêté par une rivière coulant au pied des hauteurs escarpées où les Beni Foughral s'étaient réunis aux Beni Ouarzeddin. Le général Saint Arnaud divisa son corps en deux colonnes. Pendant que la première, sous les ordres du général Luzy, se jetant dans le lit de la rivière, attaquait le front et la droite de cette position, le colonel du 20e de ligne, M. Marulaz, qui avait remplacé le général Bosquet dans le commandement de la seconde brigade, tournait la ligne et l'abordait par la gauche. Le succès fur disputé quelque temps par l'ennemi, et surtout par les Beni Foughral, avec la fureur du désespoir; balayés de tous les points de la ligne, ils tenaient encore avec tant de résolution, derrière des retranchements qu'ils avaient ébauché sur la gauche, qu'il fallut un vigoureux assaut du 20e de ligne pour les leur enlever.
Ce combat sanglant fut le dernier effort de la révolte. Le général Saint Arnaud eut bien encore quelques engagements sérieux avec plusieurs tribus ou fractions de tribu insoumises: l'affaire de Ksiba où, avec son avant-garde, il débusqua les Benidder d'un bois d'oliviers où ils s'étaient protégés par des abatis d'arbres; le combat de Taber, où nos soldats poursuivirent les Kabyles jusque sur leurs cîmes les plus élevées, et dix autres engagements; mais ce n'étaient plus que les dernières convulsions du fanatisme impuissant. Ces populations fatalistes voyaient d'ailleurs dans la continuité de leurs défaites l'intervention d'une force providentielle, sous l'action de lauquelle ils n'avaient qu'à courber le front. "Nos succès, disait un récit semi-officiel communiqué au Moniteur ont produit leur effet habituel chez un peuple qui voit la main de Dieu dans les châtiments qu'il reçoit".
Toutes les tribus restèrent convaincues que leur résistance à nos armes ne pouvait attirer sur elles que des désastres. Il y avait peu de familles qui n'eussent payé leur dette sanglante au pays, et le résultat de leur dévouement était la desctruction de leurs douars et le ravage de leurs contrée; l'abattement et la consternation avaient fait place dans tous les coeurs à l'enthousiasme et à la confiance des premiers jours. La division ne rencontra plus d'ennemis dans sa marche vers le Djebel-Babor. Deux tribus virent y faire leur soumission; toutes celles que le corps expéditionnaire rencontra sur sa route en se dirigeant vers Djidejlly vinrent lui apporter des paroles de paix et cette redevance en vivres que, sous le nom de diffa, chaque tribu doit offrir au sultan ou maître du pays, quand il passe sur son territoire; les autres vinrent successivement demander l'aman et accepter la domination de la France.
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Références:
Histoire de l'armée et de tous les régiments
Adrien Pascal
Tome cinquième
Dutertre, Libraire-éditeur, Paris, 1864.
Vous trouverez dans Google Books un exemplaire de ce livre appartenant à l'Université du Michigan.
Mots-clefs: Beni Khettab, Beni Foughal, Beni Ahmed; Beni Amran;Bou Baghla; Beni Ourzeddin.