Catastrophe de Djidjelli, Août 1928
Vous trouverez ci-dessous trois articles issus du journal 'Le Peuple, quotidien du syndicalisme', qui nous relatent les évènements survenus à Jijel en Août 1928.
On apprend dans le premier article ci-dessous que dégâts furent si importants que l'on pensa même au départ qu'un tremblement de terre avait eu lieu simultanément au cyclone. Le deuxième article rectifie l'information, et signale que ce furent des troupes indigènes sénégalaises qui déblayèrent complètement la ville.
(et vous trouverez ici et ici deux cartes postales anciennes illustrant ce sujet).
ARTICLE N°1
Secousses sismiques, grêle, ouragan sévissent en même temps à Djidjelli.
Journal 'Le peuple', n°2777, dimanche 19 août 1928
Nombreux édifices détruits : des morts et des blessés
Alger, 18 Août.
Un véritable cataclysme vient de s'abattre dans la région de l'est algérien entre Bougie et Djidjelli.
Dans la matinée d'hier, à l'aube entre 4 et 5 heures, une très violente secousse sismique a été ressentie à Djidjelli. Presque au même instant se produisit une chute terrifiante de grêlons énormes, tandis que de lourdes nuées qui couvraient le ciel étaient rayées d'éclairs; le vent soufflait en rafales ajoutant sa rumeur aux coups épouvantables du tonnerre. Un ouragan, comme on n'en avait jamais vu ici, a occasionné en un temps très court des dégâts matériels considérables dont il est encore impossible à l'heure actuelle d'évaluer l'importance.
Des immeubles détruits
Puis une pluie d'intensité extraordinaire se déchaîna tout à coup, véritable tornade, qui jeta aussitôt l'affolement parmi la population déjà fort éprouvée par les effets de la secousse sismique et de l'ouragan.
Sur certains points, de nombreux immeubles, dont plusieurs récemment construits, ont été fortement ébranlés et d'anciennes maisons se sont même écroulées, formant de lamantables amas de décombres qui obstruèrent les rues.
Les bâtiments de la citadelle militaire sont complètement ruinés.
Les lignes télégraphiques et téléphoniques ont été emportées, de telle sorte que les communications sont coupées dans toutes les directions.
Un grand nombre de platanes qui ombrageaient les rues, formant un dôme continu de verdure, ont été abattus par l'ouragan et obstruent presque toutes les artères. Plusieurs, d'autre part, sont tombés sur les maisons qu'ils ont endommagées. Il est donc à peu près impossible de circuler dans la ville.
Dans les environs, l'orage a commis des dégâts analogues. C'est ainsi que le vignoble a été particulièrement éprouvé.
Une drague coulée: sept marins noyés
Vers 5h30, le remorqueur "Soka" venant de Marseille ayant amené une drague pour l'entreprise des travaux du port de bougie était à un mile et demi du cap Carbon lorsque le mauvais état de la mer se transforma brutalement en violente tempête.
La drague a coulé à pic après avoir été chavirée. Le remorqueur "Soka" malgré l'état de la mer, est demeuré sur les lieux du sinistre et a fait toutes les recherches possibles pour recueillir les neuf naufragés. Mais, malgré tous ses efforts, deux hommes seulement ont pu être recueillis.
Cependant, après être rentré au port, le remorqueur repartit pour effectuer de nouvelles recherches demeurées sans résultat.
Des victimes à Djidjelli
On compte de nombreux blessés militaires et civils. Plusieurs sont grièvement atteints et on estime qu'il y a eu au moins une dizaine de morts. Des secours ont été demandés aussitôt par le maire qui a sollicité l'aide de la troupe.
Les communications coupées
Dans toute la région comprise entre Philippeville et Bougie, les routes sont impraticables, ce qui retarde l'arrivée des secours.
On annonce pourtant la venue du préfêt de Constantine et d'un important détachement de sapeurs du génie.
Jusqu'ici on n'a reçu aucune autre information précise ajoutant à la gravité de la catastrophe et l'on voudrait espérer que le nombre des morts ne dépasse pas le chiffre de quinze.
UNE NOTE OFFICELLE
Le récit d'un fonctionnaire
Le ministère de l'intérieur a reçu le télégramme suivant du secrétaire général de la Préfecture de Constantine, qui s'était rendu sur les lieux. Télégramme expédié de El Milia.
El Milia - 18 Août. " Rentre de Djidjelli. Après visite de la ville et conférence avec les autorités municipales, des renseignements que j'ai recueillis, il résulte que hier matin, de 5h15 à 5h30, un cyclone extrêmement violent, accompagné de pluie et de grêle, s'est abattu sur la région de Djidjelli, en particulier sur cette ville, arrachant de très nombreuses toitures, abattant de nombreuses cloisons des maisons et détruisant toutes les installations électriques, brisant tous les arbres.
Les dégâts, qui sont très considérables, ne peuvent encore être évalués, même approximativement. J'ai prié le maire de dresser immédiatement une liste des sinistrés avec évaluation des dommages.
Quatre indigènes ont été tués par suite de l'effondrement de toitures. On compte 150 blessés, européens ou indigènes, parmi la population civile, dont une dizaine grièvement atteints.
L'hôpital militaire est endommagé et a dû être évacué. Quelques hospitalisés ont été blessés, mais légèrement. Les casernes ont beaucoup souffert.
Le raz de marée accompagnant le cyclone a fait chavirer plusieurs embarcations sans toutefois causer de pertes d'hommes, mais les dégâts sont considérables, notamment dans les entrepôts établis sur les quais.
Demande de secours
La population insiste pour que vous vouliez bien prendre toutes les dispositions pour affrêter un bateau devant transporter de Marseille au moins 200 000 tuiles.
Avant de partir de Constantine, j'avais eu une conférence avec le général commandant la subdivision qui s'est transporté personnellement à Djidjelli avec des ambulances et des médecins.
Toutes les dispositions sont prises pour évacuer les blessés graves sur El Milia ou Bougie où ils seront mieux abrités.
Je vous signale le dévouement dont ont fait preuve les autorités locales et tous les médecins présents à Djidjelli.
Je vous adresse par télégramme ce jour, une demande autorisant le prélèvement de 300 000 francs à prendre sur les fons de réserve pour parer aux besoins immédiats ."
ARTICLE N°2
BILAN DES CATASTROPHES. Le cyclone d'Algérie aurait fait 15 victimes
Episodes tragiques de la nuit du 16 au 17 dans la région de Djidjelli
Journal 'Le Peuple', n° 2778, édition du lundi 20 août 1928
La Dépêche de Constantine, en date du 18 Août - mais parvenue hier seulement- signale que le nombre des morts de la catastrophe de djidjelli est, à l'heure actuelle, de 15. En effet, ce matin, à 10 heures, on comptait 4 indigènes tués à Djijdelli, un européen tué à Cavallo et 10 autres morts dans les alentours, non identifiés encore.
M. Pierre Bordes, gouverneur général de l'Algérie, qui était arrivé en congé vendredi dernier à Céret, a décidé de repartir aujourd'hui pour Alger, par Port-Vendres, afin de se rendre au plus tôt sur les lieux du sinistre et de s'assurer par lui-même que toutes les dispositions utiles ont été prises.
D'autre part M. Pierre Bordes a adressé le télégramme suivant au maire de Djidjelli:
"Apprenant le sinistre qui vient de frapper Djidjelli, je vous adresse pour tous vos concitoyens l'expression émue de ma sympathie attristée. Je vous demande d'être auprès des sinistrés l'interprète de mes sentiments affectueux; ma pensée va vers les malheureuses victimes. Le nécessaire sera fait de toute urgence pour réparer les pertes matérielles."
Enfin, le gouverneur général a demandé au ministre de l'Intérieur et au Ministre des Finances l'autorisation de prélever 300 000 francs sur les fonds de réserve pour parer aux besoins immédiats des sinistrés.
M. Carles, préfèt de Constantine, en villégiature au chateau de Mazerette (Ariège) a avisé M. Pierre Bordes, gouverneur général de l'Algérie, qu'il le rejoindrait à Port-Vendres où il s'est embarqué hier matin à 10 heures avec le gouverneur général à bord du paquebot "Gouverneur Général Cambon", à destination d'Alger.
Une demi-heure d'épouvante
Des télégrammes d'Alger donnent les informations suivantes sur les conditions dans lesquelles s'est produit la catastrophe.
Avant la catastrophe, la journée du 16 fut comme les autres, très chaude. Cependant rien ne laissait prévoir le sinistre. A lapproche du crépuscule seulement, on devinait quelque chose d'anormal. Le ciel prit des teintes cuivrées, laissant prévoir un violent orage. La nuit, comme les précédentes, fut pénible, en raison de la chaleur lourde et humide. Cependant, vers minuit cette chaleur décrut un peu et à une heure du matin les habitants constataient avec plaisir qu'une légère pluie commençait à tomber, tandis que des éclairs zébraient le ciel.
Vers quatre heures, le vent devint une véritable bourrasque et à 4h30 une orage d'une violence extraordinaire se déchaînait. Des grêlons gros comme le poing s'écrasaient sur le sol: toutes les vitres brisées tombaient avec fracas, le vent emportait les volêts et commençait même à briser les branches des gros platanes.
La bourrasque dura environ une demi-heure.
Comme, en raison de la saison chaude, la plupart des fenêtres des maisons se trouvaient ouvertes, des cloisons intérieures furent enfoncées par la bourrasque, s'écroulèrent et entraînèrent la chute des maisons. Presque tous les arbres furent brisés et arrachés du sol. Toutes les installations électriques ont été détruites.
Le cinéma d'Apap s'est entièrement écrasé sur le sol. Les docks ne forment plus qu'un amas de décombres. Les tôles qui recouvraient des magasins du port ont été emportées par le vent; elles volaient au-dessus de la ville comme des feuilles de papier; l'une d'elles, pénétrant dans une maison, faillit trancher la tête d'un homme qui s'y trouvait. L'hôpital militaire, très endommagé, a dû être évacué.
Un tableau de désolation
Au cours de la matinée, les autorités civiles et militaires, se sont rendues à Djidjelli et ont visité tout particulièrement les quartiers les plus endommagés, afin de se rendre compte des travaux de déblaiement effectués par la troupe, composée surtout de Sénégalais.
Cette visite de ce qui fut la coquette Djidjelli, laisse au coeur une douloureuse et poignante impression. Pas une maison n'est intacte. On ne voit que toitures enlevées, plafonds écroulés, murs lézardés. Plus de volets, plus de fenêtres. Les portes sont fracturées, c'est ce qui avait fait croire tout d'abord à un tremblement de terre, dont l'hypothèse semble pouvoir être écartée, les conduites d'eau étant intactes. Sur les belles avenues, en particulier avenue Vivonne, les magnifiques arbres, qui faisaient la coquetterie de la ville, furent arrachés du sol, ou ceux qui ont résisté ont eu leurs branches maîtresses brisées.
Une grande usine électrique, dont les constructions couvraient une superficie de plus de 3 hectares, a été complètement anéantie, ce qui rend, le soir, l'aspect de la ville plus pénible encore. Djidjelli se trouve depuis hier soir, sans lumière ni force motrice.
Les usines de liège, assez nombreuses dans la ville, ont souffert, elles aussi, réduisant au chômage plusieurs centaines d'ouvriers.
Le désastre dans le port
Dans le port, de petites barques sont chavirées, certaines sont écrasées contre de plus grosses embarcations ayant elle-mêmes rompu leurs amarres. Les marchandises entreposées sur les quais ont subi des dégâts considérables; certaines même ont disparu.
Dans le port, l'ouragan fut d'une telle violence qu'il renversa une grue de 31 tonnes.
Le naufrage de la drague, qui était partie de Port-de-Bouc le 10 août à destination de Bougie, a fait neuf victimes. La drague était partie montée par 11 hommes dont la plupart habitaient Port-de-Bouc. Sur ces 11 hommes, 9 ont péri. Ce sont: le capitaine François Cozic, marié et père d'un enfant; Jean Arham, célibataire; Pierre Guérin, marié et père de 3 enfants; Vaccari, marié, un enfant; Ernest Halle, célibataire; Soria, marié, deux enfants; et Gabriel Barthélémy, marié, deux enfants.
ARTICLE N°3
La situation à Djidjelli
Journal 'Le Peuple', n° 2779, édition du 21 août 1928
Alger, 20 Août. Le maire de Djidjelli a adressé ce matin, à la presse algéroise, le télégramme suivant:
"A la suite du cyclone ayant dévasté Djidjelli, nous enregistrons 5 morts et 250 blessés, dont 6 seulement sont gravement atteints. Les dégâts matériels sont très considérables, mais grâce au dévouement de tous et particulièrement de l'armée et de l'administration, la vie normale reprend son cours.
La coquette Djidjelli reprend peu à peu son aspect. Les rues se déblaient lentement. Cependant, malgré l'effort combiné des militaires et des civils, on ne parvient pas complètement à effacer les traces du désastre. L'annonce de la venue sur les lieux du gouverneur-général, M Bordes, impressionna favorablement les populations. Les communications sont rétablies quant à la route Bougie-Djidjelli. Une compagnie du génie s'occuppe activement des réparations. On pense que la circulation pourra bientôt reprendre un cours à peu près normal."
Les dégâts à Bougie
A Bougie, les dégâts que, pendant les premières heures d'affolement, les pouvoirs publics avaient crus insignifiants, revêtent à l'heure actuelle une certaine importance.
Des portions de toitures ont été arrachées, des arbres également, de nombreuses vitres ont été cassées, ainsi que des volets arrachés. Si Bougie a été relativement épargnée, elle le doit surtout au massif du Gouraya.
Le bâteau de pêche Saint Antoine, patron Cozzolino, a recueilli dans les parages du cap Tichi, Barthélémy Gabriel, troisième survivant du naufrage de la drague, survenu vendredi. Le rescapé dont l'état général est bon, a été immédiatement hospitalisé. Les recherches ont été continuées mais n'ont donné aucun résultat.